Parler de la pluie acide
et du beau temps

1988
Hauteur : 6 pi
Largeur : 3 pi
Profondeur : 4 po
Acrylique et sable
sur toile
En matière d'écologie, nos sociétés technologiques vivent
actuellement, au niveau de l'éthique environnementale, un vide
législatif et juridique qui permet aux pollueurs de rejeter le
fardeau de la preuve sur les populations polluées. Entretemps,
un produit ou un processus est réputé compatible avec la
biosphère tant que l'on n'a pas prouvé sa nocivité.

Entretemps aussi, les politiciens à la gouverne d'intérêts plus
ou moins occultes, laissent les populations humaines et
animales servir de cobayes à des apprentis sorciers dénués de
toute éthique professionnelle et environnementale.

Entretemps également, les quelques empêcheurs de tourner en
rond, dont le discours écologique se perdait dans un désert
d'idéologies creuses et stupides véhiculées par l'automation
euphorique de l'après-guerre, ont été remplacés par
l'inquiétude fébrile de populations de plus en plus torturées par
les maladies de la civilisation.

Or, il fut peut-être un temps où, dans le hurlement des chiens,
la Vénus de Milo regardait impassiblement passer de bien
tristes caravanes. Mais le nouvel âge enfante maintenant des
oeuvres qui illustrent l'inquiétude légitime de ces populations
prises en otages par les pontifes de la production /consommation.
Et la fresque Parler de la pluie acide et du beau temps veut
témoigner de cette inquiétude dont le grondement s'amplifie et se
propage à la même vitesse que les maladies dégénératives.

Parler de la pluie acide et du beau temps n'est pas la
conversation badine entre le pompiste et son client, mais
l'imprécation ferme d'une mère qui ne veut plus d'une
technologie dont les proliférations malignes risquent de graver
leurs cantates plaintives dans la chair de sa chair.

Parler de la pluie acide et du beau temps c'est le
déploiement impératif d'un parapluie écologique, pour
préserver la biosphère contre ces nuages lourds et corrosifs
de l'ère industrielle. C'est un peu le déploiement de l'aile
protectrice sur la couvée en péril. L'arc-en-ciel qui orne
l'intérieur du parapluie, c'est surtout l'artiste qui dit: « Ne tuez
pas la beauté du monde! » Mais c'est aussi et beaucoup la
créature peureuse et repentie qui cherche à rejeter sur son
Dieu les conséquences fâcheuses de ses artefacts violents.
L'apprenti sorcier tremble pour sa carcasse et rappelle à son
Créateur ses promesses bibliques postdiluviennes :

« Et Dieu dit: Voici le signe de l'alliance que moi je mets entre
moi et vous, -entre toute bête vivante qui est avec vous pour
les générations à jamais.

J'ai mis mon arc dans la nuée ; -il servira de signe d'alliance
entre moi et entre la terre.

Et quand j'assemblerai des nuées sur la terre -et que l'arc
apparaîtra dans la nuée,

Je me souviendrai de mon alliance entre moi et vous -et tout
être vivant, de toute chair.

Les eaux ne deviendront plus un déluge -pour anéantir toute
chair. » (Genèse, chapitre 9, versets 12 à 15)

Dieu n'a donc aucunement mentionné les pluies acides dans
son pacte d'alliance; et son fils avait bien d'autres chats à
fouetter lors de son passage sur terre ...

Parler de la pluie acide et du beau temps c'est l'harmonie de
la nature symbolisée par les oiseaux et les nuages tissés d'une
étoffe identique, avec motifs en losanges. A droite, l'oiseau du
Capricorne s'étiole sous la rosée corrosive, pour n'avoir pu
gagner l'aile protectrice. Alors qu'à gauche l'oiseau du Verseau,
l'oiseau de l'espoir, transgresse la symbolique en pointant son
bec optimiste hors parapluie, sans subir l'érosion chromatique.

Parler de la pluie acide et du beau temps en montgolfière,
c'est retourner à des moyens de locomotion harmonieux. C'est
l'aérostat qui symbolise la convivialité possible entre l'homme,
son habitat, les animaux et l'agriculture orthobiologique. C'est
l'arche de Noé avec des armoiries où le rouge sert de fil
conducteur et de diapason écologique. Dans la bande de
gauche flétrie et désertifiée par les pluies acides, une affiche
de montagne invite les passagers du dirigeable à retourner à
la ferme écologique.

Parler de la pluie acide et du beau temps sur le chemin, c'est
voir le trottoir arabe se métamorphoser en vulgaire autoroute.
C'est faire le bilan de l'héritage en péril: à gauche, la maison
québécoise avec son dallage en symbiose avec les feuillus; la
maison au toit dragon de Gaudi (à Barcelone) où ce fou de
Dieu cristallise un cantique émouvant ; quelques maisons
féeriques pour les enfants de demain ; et La Fabrica (à St-Just
Desvern, près de Barcelone), siège de L'atelier d'architecture
de Ricardo Bofill, où trois générations de bâtisseurs insistent
sur la nécessité de renouer avec l'histoire:

« Je milite pour une époque de la lumière après la barbarie.
Pour moi, l'architecture est le moyen d'inventer une autre façon
de vivre, d'habiter, de jouer dans l'espace. » (Ricardo Bofill)

A droite de l'atelier d'architecture, une maison Nouvelle-
Angleterre d'inspiration victorienne. A droite de la ferme, la
mosquée du roi et les mosaïques de l'école coranique
Madar-E-Chah :

« Dieu a promis aux croyants, hommes et femmes, les jardins
arrosés par des cours d'eau. Il leur a promis des habitations
délicieuses dans les jardins d'Eden » (Le Coran)

Parler de la pluie acide et du beau temps
illustre ensuite la
bande des grands animaux dans une oasis blanche bordée par
les déserts acides. Juste au-dessous, le jardin des arbres
fruitiers qui ne peut envahir un désert où le règne végétal lance
sa supplique, les bras tendus vers le ciel (cactus saguaro). Et
enfin, au bas de l'oeuvre, des bandes de cervidés rebroussent
chemin, effrayés par le désert acide.

Parler de la pluie acide et du beau temps est un prétexte
pour dénoncer cette érosion sournoise de notre environnement,
qu'une conspiration du silence a rendu possible grâce à la
collusion douteuse entre des groupes financiers, des politiciens,
des technocrates et des scientifiques qui ont tous des intérêts
en commun.

En somme, Parler de la pluie acide et du beau temps c'est
renouer avec le testament écologique rédigé en 1855, par le
chef Sealth (Seattle) de la tribu des Duwamish :

« Comment pouvez-vous acheter ou vendre le ciel - la chaleur
de la terre? L'idée est étrange pour nous. Nous ne possédons
pas la fraîcheur de l'air ou le scintillement de l'eau. Comment
pouvez-vous nous les acheter?

Nous savons que l'homme blanc ne comprend pas nos
manières. Une portion de la terre est la même pour lui que celle
d'à côté, car il est un étranger qui vient la nuit prendre à la terre
tout ce dont il a besoin. La terre n'est pas sa soeur, mais son
ennemie, et quand il l'a conquise, il continue son chemin. Il
quitte les tombes de ses pères, et le droit de naissance de ses
enfants est oublié.

L'air est précieux à l'homme rouge. Parce que toutes les
choses partagent le même souffle - les bêtes, les arbres,
l'homme. L'homme blanc ne semble pas remarquer l'air qu'il
respire. Comme un homme qui agonise de longs jours, il est
engourdi dans la puanteur.

L'homme blanc doit traiter les bêtes de la terre comme ses
frères. Je suis un homme sauvage et je ne comprends pas
l'autre façon. J'ai vu un millier de bisons pourrissant sur les
prairies, laissés par l'homme blanc qui les avait abattus au fusil,
d'un train en marche ... Qu'est l'homme sans les bêtes? Si
toutes les bêtes disparaissaient, les hommes mourraient d'une
grande solitude d'esprit, car tout ce qui arrive à la bête arrive
aussi à l'homme. Toutes les choses sont reliées. Tout ce qui
survient à la terre survient au fils de la terre.

Il est une chose que nous savons et que l'homme blanc
découvrira un jour. Notre Dieu est le même Dieu. Vous pouvez
penser maintenant que vous le possédez comme vous désirez
posséder notre terre. Mais c'est impossible. Il est le Corps de
l'homme. Et sa compassion est égale pour l'homme rouge et
pour l'homme blanc. La terre lui est précieuse. Et faire du mal à
la terre, c'est accabler de mépris son créateur ... Continuez à
souiller votre lit et vous suffoquerez une nuit dans votre propre
ordure. »

Damien Tremblay
St-Jean-Baptiste, mai 1989.