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Nicole Tremblay nous présente cinq tableaux, portant sur les
éléments de la nature; soit dans l’ordre : le feu, l’air,
l’éther,
l’eau et la terre. La théorie des cinq éléments,
utilisée pour
l’élaboration de cet ensemble, réfère tant à
la mythologie
grecque qu’à la spiritualité de l’alchimie ou
à la mystique
hindoue.
Ce polyptyque forme un tout cohérent et homogène où
chaque
partie est nécessaire. Cependant, si le tout est plus que la
somme de ses parties, chaque oeuvre présente une cohérence
interne et une structure assurant l’autonomie. Nous étudierons
plus loin chacun d’eux individuellement, mais nous nous
permettrons ici certaines considérations générales.
Les personnages, tous posés à la même hauteur, composent
à
vrai dire une frise. Dans la progression de la série, de gauche à
droite, le regard des protagonistes est tourné pour les premiers
à droite, puis de face pour celui du centre, et enfin vers la
gauche pour ceux situés à la droite du polyptyque. Cette
disposition engage le regard du lecteur dans le sens
traditionnel de lecture, l’amène au coeur du groupe, pour
ensuite, grâce au regard tourné vers la gauche des derniers
personnages, le ramener en boucle vers son point de départ.
Ceci permet une navigation cyclique du regard dans l’oeuvre et
amène l’oeil du spectateur à la fois à recommencer
sans cesse
son voyage et à considérer chacun des détails des tableaux.
Ces oeuvres à clés, aux message codés, permettent de
multiples strates d’interprétation donnant vie aux archétypes.
À
l’intérieur de la totalité du cycle, chaque section
représenterait
un état. Le processus serait dans le passage de l’un à
l’autre,
comme le mouvement des têtes le suggère, comme les
différents moments d’un cycle en boucle. Les déesses
représentant ces phases portent des traits et des chevelures
ressemblantes. Ce pourrait être le même être sous différents
vêtements, dans des décors variés. Quelle serait cette
divinité
féminine liée aux éléments de la nature et dispensatrice
de
l’initiation? N’est-ce pas la déesse Mère de la
Nature présente
dans toutes les traditions, qu’on la nomme Marie, Maya, Isis ou
Coatlicüé, cette divinité féminine maternelle
et créatrice, Mère
du monde, contrepartie féminine du Dieu créateur masculin?
Les initiatrices de Nicole Tremblay offrent la connaissance à
travers des symboles d’accompagnement. Elles ont atteint la
conscience permettant de mettre les forces de la nature à leur
service. Le développement de ces facultés en fait des
magiciennes ou des sorcières aux pouvoirs surnaturels, comme
celui de guérir. Ces Dames accomplies incarnent pleinement
l’élément de la Nature correspondant. Elles nous invitent
à les
suivre et à donner vie à ces facultés latentes en nous.
Le
polyptyque peut être compris comme une allégorie sur les
forces élémentales de la nature. Il peut aussi être
lu comme un
parcours initiatique cyclique où chacune des stations met en
scène le passage à franchir pour acquérir la richesse
intérieure
représentée par la divinité.
D’aucuns y ont vu le parcours amoureux d’une femme. Au
premier acte, on fête la femme courtisée : environnée
de
coeurs et des flammes de l’amour, elle devient amoureuse.
Dans le second volet, l’artiste la dépeint chérie et
caressée par
l’écharpe et les objets qui l’entourent. À la
troisième étape, sa
plénitude éclate et englobe la totalité. Sur le quatrième
panneau, l’héroïne fécondée se retrouve
porteuse des eaux
créatrices. Au cinquième et dernier mouvement, la belle dame
se retrouve enceinte, en gestation d’un monde en devenir.
Chaque déesse est accompagnée d’un instrument de musique
illustrant à la fois l’élément-thème et
le lien crée par la
protagoniste entre le monde du spectateur et ce monde
magique dont elle nous offre les clés. Symboliquement, la
musique est un moyen de s’associer à la plénitude de
la vie
cosmique. Sa médiation permet d’élargir les communications
du monde humain jusqu’aux limites du divin. La science des
modulations commande tous les niveaux d’existence et
influence à la fois l’instrument, l’homme et le cosmos,
tous
soumis à l’ordre musical. La musique sera envisagée
comme
l’art d’atteindre la perfection.
Ces femmes ont toutes les cheveux roux. Le roux est une
couleur particulière, la moins fréquente pour une chevelure.
Pour Nicole Tremblay, elle semble au delà du réel, attribut
idéal
des divinités. Le roux s’apparente à la magie, au surnaturel
; au
Moyen Âge on brûlait les roux pour sorcellerie. Les chevelures,
composées de mèches folles, telles des flammes ou des
éclairs, se terminent par des réseaux de filaments. On les
voit
comme des antennes harmonisant les déesses avec les
différentes sphères de la nature.
La richesse des textures a été obtenue par des techniques
d’acrylique aquarellé, dans la superposition de couleurs en
fines couches. L’effet obtenu s’assimile au trompe-l’oeil,
car il
n’y a pas de texture matérielle, d’épaisseur évidente
de la
couche picturale. Pour les vêtements, des pigments métalliques
constituent le fond de la couche picturale. Ce traitement permet
les reflets, les jeux de transparence qui approchent la texture
picturale de matières précieuses. L’illustration de
la texture des
vêtements est le fruit d’une longue recherche de glacis de plus
en plus transparents superposés aux fonds métalliques. La
peau de ces sublimes personnages a reçu un traitement très
particulier : la dorure à la feuille d’or fin, matériau
précieux par
excellence signifiant la transmutation et la divinisation.
Dans son processus de création, Nicole Tremblay est à
l’écoute. Elle suit ce qu’elle nomme ses « trois
i », soit l’instinct,
l’intuition et l’imagination. Elle se centre sur le corps et
se
rapproche des cycles de la nature. Par leur action, les forces de
la nature permettent un chemin initiatique. Il faut apprendre à
les connaître, à se les approprier, à les maîtriser
pour les
utiliser à bon escient. Chacune des belles dames est comme
une Mère ensemencée par l’élément dont
elle est dépositaire.
Chacune illustre une étape de ce chemin initiatique. Le
cheminement représenté par l’élément suivant
découle de la
connaissance acquise à l’étape antérieure. La
connaissance
est ici envisagée comme prise de conscience et expérience,
et
non accumulation d’informations intellectuelles.
Annie Girard
poïéticienne.
Novembre 1999
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