Mon arrière-grand-mère
religieuse cloîtrée

1997
Hauteur : 6 pi
Largeur : 3 pi
Profondeur : 4 po
Acrylique, sable et
feuille d'or sur toile
Originaire de Jonquière, l’artiste Nicole Tremblay nous raconte
ici l’histoire passionnante et sévère de Marie-Louise
Boily-Brassard, sa bisaïeule maternelle, une amazone née à
Chicoutimi le 20 décembre 1857, dans le rang Saint-Pierre.
Unique enfant survivante des 16 grossesses de sa mère
(incompatibilité sanguine entre la mère et les foetus),
Marie-Louise se voit refuser à trois reprises, par ses parents, la
permission d’entrer en religion.

Qu’à cela ne tienne, sous le coup de la colère elle épouse en
1873 Joseph Brassard, l’ouvrier agricole de la ferme paternelle.
La frise 1 dépeint la mariée en blanc, sur un fond qui laisse
deviner quelque drame : la cathédrale de Chicoutimi et l’église
de Chambord supervisent et dominent la scène. Marie-Louise
donnera naissance à neuf enfants dont seulement cinq
survivront comme en témoignent les quatre croix, entre les
enfants logés dans ses entrailles. La chaise roulante nous
avise que l’époux devient paraplégique en 1883, sur leur ferme
de l’île d’Alma, où la famille a emménagé en quittant
Chicoutimi, après le décès des parents de Marie-Louise et de
quatre de ses très jeunes enfants. La frise 5, au bas de
l’oeuvre, symbolise d’ailleurs les neuf grossesses de
Marie-Louise.

Tout en étant convaincue qu’elle reçoit le juste retour de sa
révolte d’il y a dix ans, elle rassemble ses énergies et parvient
à faire fonctionner la ferme avec Henri, le fils aîné à peine âgé
de sept ans. Dans une monographie consacrée à cette ancêtre
héroïque au destin singulier, le chicoutimien Henri Bouchard,
fils de sa fille Marie-Jeanne, écrira au sujet de sa grand-mère
maternelle : « Ses enfants reconnaissent que c’était une femme
forte moralement et physiquement. On raconte que, pour elle,
transporter un sac de cent (100) livres de sucre ou de farine,
c’était relativement facile. »

Âgé d’un peu moins de 16 ans, l’aîné Henri s’exile pour
travailler aux États-Unis, d’où il enverra ses économies à sa
mère durant six ou sept ans. Au cours de ces années, la famille
déménage à Chambord, où Marie-Louise mènera une vie
laborieuse : tenancière de magasin général, bricoleuse,
fermière, couturière, boulangère, cordonnière, laboureuse, sans
oublier un à-côté avec la tonte des moutons. Mais en haut, à
droite, posé sur un solide contrefort rocheux, un cloître
d’Augustines l’attend quelque part à Québec, dans le quartier
Saint-Sauveur.

En 1900, à 43 ans, Marie-Louise devient veuve et grand-mère
pour la première fois d’un fils d’Henri, devenu Harry à son
retour au Québec quelques mois plus tard. La frise 2, nous
montre la progéniture de notre Pasionaria au moment où elle
entre au noviciat des soeurs Hospitalières de l’Hôtel-Dieu du
Sacré-Coeur de Jésus, à Québec, le 4 novembre 1903 :
Joseph, 16 ans qu’elle confiera à Harry l’aîné de 27 ans,
Marie-Jeanne, 19 ans, et Émilie-Anne, 18 ans, la grand-mère
maternelle de Nicole Tremblay. À droite, on voit Welley, 21 ans,
seul à New York, alors que sa mère quitte Chambord en train
pour le noviciat de Québec, symboliquement vêtue du costume
des suffragettes anglaises. Seuls Welley et Marie-Jeanne
n’avaient pas été avisés de l’entrée en religion de leur mère.

À travers tout cela, les amours terrestres ont suivi leur cours :
Marie-Jeanne et Émilie-Anne épousent deux frères Bouchard
d’origine jonquièroise, soit Joseph-Thaddée avec
Marie-Jeanne, en 1902, et Louis avec Émilie-Anne, en avril
1904. En 1907, ces derniers donneront naissance à Germaine,
la mère de l’artiste. Le fils Welley, revenu des États-Unis en
1905, accepte peu à peu la perte de sa mère qui a prononcé
ses voeux perpétuels. Bref, tous se marièrent et eurent de
nombreux enfants, dont certains défilèrent au parloir du cloître
en compagnie de leurs parents. Après une dizaine d’années de
vie monastique, Soeur Marie de l’Incarnation subit une délicate
intervention du coeur qui la laissera fragile durant les 15
dernières années de sa vie. Elle délaissera alors les serres
pour se consacrer aux ouvrages de dame.

Tirée des différents albums de famille, la frise 3 nous montre
comment la pellicule a fixé quelques rencontres de famille. À
gauche, en 1921, notre révérende Soeur en compagnie de sa
fille Émilie-Anne, suivi d’un portrait de famille où l’on retrouve la
Soeur, la petite Gertrude, Louis Bouchard et Émilie-Anne
enceinte qui mourra quelques mois plus tard, cinq jours après
avoir donné la vie à Solange Bouchard-Bérubé.

Dans une lettre adressée le 23 mars 1921 à sa fille
Marie-Jeanne, Soeur Marie de l’Incarnation écrit : « Il nous a
été présenté une croix bien lourde et bien cruelle … Voir la
petite famille qu’elle laisse en si bas âge et si nombreuse est
sans doute le spectacle le plus affligeant que l’on peut
contempler avec des yeux navrés de douleur et de larmes bien
amères … En attendant d’aller rejoindre ceux qui nous ont
devancés, ne nous attachons pas à cette terre ingrate qui
renferme tant de deuils et tant de déchirements douloureux … »
À droite, la Mère en compagnie de ses quatre enfants,
quelques jours avant son décès survenu le 1er juillet 1929. À
l’extrême droite, Bernadette, fille d’Émilie-Anne, visitant sa
grand-mère, et qui deviendra elle-même nonne enseignante
sous le nom de Soeur Raymond-Marie.

Le centre de la frise 4 nous présente le veuf Louis Bouchard
en compagnie de six de ses enfants. Le berceau d’époque
rappelle que le bébé absent (Solange) a été adopté par l’oncle
Welley. La petite Gertrude, elle, sera adoptée par un oncle du
peintre Arthur Villeneuve. Le tableau de gauche, datant de la fin
des années 40, représente Germaine, la mère de l’artiste, en
compagnie de ses trois enfants, Pierre, Nicole et Damien
Tremblay. Enfin, le tableau de droite dévoile une autre
génération issue en droite ligne de Soeur Marie de
l’Incarnation : Roxane et Rafaël Chamberland, rejetons de
l’artiste.

Ce survol bref et incomplet à travers l’arbre de vie de Soeur
Marie de l’Incarnation veut tout au plus rendre hommage à une
suffragette méconnue qui a mené un combat à sa façon,
couronnée de trois états d’âme : fleurs de jeunesse, fleurs de
défi et fleurs spirituelles. La passion, comme la vie, échappe à
toute logique étroite et les fous de Dieu ont toujours su faire fi
des frictions apparentes entre vie terrestre et vie céleste.

Soeur Marie de l’Incarnation rejoint les grands au panthéon de
l’humanité. Avant de renouer avec les idéaux de son enfance,
elle a donné la vie à neuf enfants. C’est énorme quand on
considère que souvent les statues de héros, érigées par
l’histoire, reposent sur un piédestal dont la hauteur est
directement proportionnelle au nombre d’humains que ces
grands hommes ont envoyé à la mort …

Damien Tremblay
Le 7 avril 1997