La Dame de l’éther
1999
Hauteur : 48 po
Largeur : 16 po
Acrylique et
feuille d'or sur toile

La Dame de l’éther a les pieds bien posés sur la nuée, masse
sans substance à la limite de l’informe. Ses pieds sont vêtus de
sandales, chaussure légère qui, dans la mythologie, permet
souvent de voler. Avec ses « semelles de vent », elle s’élance
au delà du monde et se laisse porter par la nuée. Les sandales
correspondent à l’élévation mystique et à la vélocité aérienne :
ce sont les chaussures des anges. Elles portent l’incarnation au
delà du monde matériel. L’éther, domaine de la déesse, n’est
pas un élément de l’univers physique, mais plutôt le lieu de sa
genèse. On le considère comme un monde aux couleurs de la
nuit, où toutes les possibilités s’entrechoquent en un état
nébuleux et chaotique antérieur à la différenciation.

L’éther, matrice du monde, mère des quatre éléments, lieu de
l’informe, de l’amorphe et du chaotique, dont la manifestation
impliquera un ordonnancement des éléments. « Chaos » dérive
du mot grec Kaos, immensité de l’espace, nuage. Le non-
manifesté est l’état nébuleux, comme une immense nuée,
auquel plusieurs traditions se réfèrent pour parler du sein de
Dieu en tant qu’intérieur, matrice, d’où sort le monde manifesté.

Les grecs considéraient Éther comme la plus inaccessible des
déesses. Ils situaient son domaine au-dessus du mont Olympe,
à un endroit où le ciel rejoint la lumière. L’éther touche au
sublime, à l’au-delà de notre monde. Pour les anciens, il était
un fluide subtil remplissant les espaces célestes au delà de
l’atmosphère. L’éther correspond aussi au Chaos enveloppé
par la Nuit, comme un oeuf habité par l’informe et enveloppé
d’obscurité; véritable matrice, il donnera naissance au monde.
Il contient à la fois les forces de la gestation et la perfection
d’une totalité enclose. La limitation même du chaos permettra
de donner forme à l’informe et d’engendrer les autres éléments.

Le personnage posé sur les nuages, vit bien au delà de notre
monde terrestre. De face, elle regarde le spectateur au point
central de la composition. Son importance comme médiatrice
entre les mondes est indiquée par ce regard, par sa position
centrale et par ses bras tendus vers les autres panneaux du
polyptyque. Éther a les bras ouverts comme la Vierge Mère du
monde qui domine et embrasse toute la création. On la voit
entourée d’éclairs d’un côté, et de nuages de l’autre, car les
grecs la disaient issue du feu et de l’air. Les physiciens diraient
qu’il s’agit d’une structuration de l’énergie dans l’espace.

L’oeuf lumineux éclaire le haut du corps de la Déesse en une
sorte d’auréole. Il est entouré de vaguelettes formant des
gradins arrondis pour une escalade vers le sublime. La courbe
suggère l’harmonie, la réunion, la consolidation de l’accord
entre le ciel et la terre. L’oeuf est habité de nébulosités,
symptômes de l’agitation créatrice qui s’y opère. Les hindous
comparent le tattwa (ou énergie) de l’éther, vu de l’extérieur, à
une nuit orageuse, remplie de nuées et d’éclairs.

À côté de la divinité, une harpe, instrument au dessin superbe,
dont la musique qualifiée d’« éthérée » proviendrait des anges.
Les cordes de l’instrument se dédoublent, comme ces
antennes rencontrées sur le vêtement de chaque déesse, et
forment presque un filet pour attraper les effluves de l’invisible.
La harpe, instrument des dieux, permet de relier le ciel à la
terre, comme l’Éther fait la médiatrice entre le Non-manifesté et
la Manifestation.

Le tissu fin et transparent de la robe, mousseline ou gaze, sied
bien à la plus immatérielle des dames. Le motif en damier
visualise l’opposition de forces contraires : l’ordre de la
manifestation contre le hasard du chaos, la lutte entre les
différentes potentialités d’un destin. Le carré représente
l’univers créé, par rapport à l’incréé. Le personnage est la porte
par où l’incréé passe au créé. Le haut de sa robe orné de demi-
cercles concentriques rappelle l’arc-en-ciel, chemin et
médiation entre l’ici-bas et l’au-delà ; associant ainsi la belle
dame aux courants cosmiques entre le ciel et la terre. Au bas
de sa robe, des filaments-antennes la relient au monde.

Ses cheveux volants, couleur de feu, s’emportent au vent des
orages. Ils se divisent comme des antennes touchant d’un côté
au ciel et de l’autre au monde par un double éclair. La foudre,
énergie mystérieuse et puissante, surprend et ébahit par son
apparition et par les transformations tant positives que
négatives produites. Elle permettra la création en ensemençant
le chaos de la nuée. Elle recèle les extrêmes du subtil et du
matériel. Comme lien entre les deux mondes, elle est aussi le
lieu de la réversibilité des choses; double possibilité
qu’illustrent aussi ses bras tendus comme le fléau d’une
balance dont on ne verrait pas les plateaux.

Annie Girard
poïéticienne.
Novembre 1999