La Dame de la terre
1999
Hauteur : 48 po
Largeur : 16 po
Acrylique et
feuille d'or sur toile

Le regard de la Dame de la terre se tourne vers une montagne
au sommet résolument dressé vers le ciel. L’ascension d’une
montagne rappelle le chemin initiatique. La montagne s’habille
de cuivre, son pic se coiffe de neiges argentées. On associe le
cuivre à Vénus, la déesse de l’amour. L’argent témoigne de la
pureté. Le vêtement diffère de celui des autres déesses : sur la
robe sombre, recouverte d’un tablier, elle porte une pèlerine
aux textures lourdes, riches et épaisses comme une bure.
Solide et protecteur, ce manteau abrite des intempéries. Une
chaîne de montagnes se prolonge dans le col du manteau : la
terre et le corps de cette femme seraient d’une essence
commune. La pèlerine ornée de losanges correspond à la
matrice de vie. Elle semble prête pour un long pèlerinage :
l’entrée dans le ventre du monde, pour un passage initiatique
dans le champ des forces telluriques.

Sous les pieds, le sol labouré et ensemencé se déroule en un
tapis brodé. Un oiseau, médiateur entre le ciel et la terre, se
nourrit des semences. Ces graines portent le projet de germer,
croître, et de permettre à la terre féconde et généreuse de
nourrir tous les êtres. Le tableau présente à la fois les
richesses des entrailles de la terre et celles qui croissent en
surface. Les longues racines des plantes s’épanouissent en
buissons fleuris. Une jument et son poulain, forces instinctives
non harnachées, nous regardent d’un champ, près d’un
ruisseau. Un bâton, surmonté d’un oiseau dont la queue
rappelle les ailes magiques de la Dame de l’air, coiffe la tête de
la jument et en fait une licorne incongrue, incarnation de la
pureté et de la chasteté. Des corbeaux surveillent des champs
découpés aux couleurs riches et dorées comme au temps des
récoltes.

En rupture avec les autres personnifications, elle affiche des
cheveux coupés avec pragmatisme. Les branchements des
antennes sont courts, à peine présents. Un grand oiseau, aux
longues pattes se mêlant avec la chevelure, repose sur sa tête.
Ses magnifiques ailes se déploient en plumes extravagantes,
comme autant de connexions vers l’au-delà pour ce messager
des cieux. Un nuage d’or plane juste au-dessus de lui. Il signifie
la lumière céleste, l’aide divine dans le travail, la proximité de
l’absolue perfection.

Elle a de très gros seins nourriciers ornés, l’un de cercles
concentriques dessinant le mamelon comme une cible, et
l’autre d’arcs-en-ciel stylisés, en signe d’harmonie et de
médiation. Comme chez les autres personnages, l’apparente
matérialité cache une médiatrice de l’au-delà. L’instrument de
musique à ses pieds, un sifflet à deux corps, imite une double
cruche aux formes utérines. Fabriqué d’argile, il envoie le
message de la terre vers le ciel. Par sa forme d’oiseau, il sert à
conjurer les forces du ciel. Il porte donc une double signification
à l’action réflexive.

Sur le tablier à deux pans, l’artiste nous dépeint deux volets de
la nature. La section du bas montre une terre fertile où un
foisonnement de plantes pousse et s’élance vers le soleil. Les
rayons de l’astre sont faits de poires et de branches feuillues.
La poire, aux formes utérines, est un fruit généreux de sa
douce chair et de son suc. Les branches-rayons se tendent
vers la terre comme les plantes s’orientent vers un soleil dont le
coeur se colore de brun comme une riche terre. En une
réversibilité étonnante, le soleil devient terre et la scène illustre
la générosité de la Nature.

Sur le panneau supérieur du tablier se dessine un panorama du
continent américain aux espaces immenses et vierges. Le
paysage de montagnes et de canyons adopte les chaudes
couleurs d’une terre fournie en oxydes de fer, une terre-
peinture d’où l’on extrait les pigments. C’est la terre de toutes
les richesses minérales. Le fond du tableau, lui, est orné de
plages de cuivre, d’aluminium et d’or. Par les pigments et les
métaux précieux nourris en son sein et projetés sur la toile, la
terre devient la mère de cette création féconde incarnée dans
la peinture.

Un cheval blanc court dans ce paysage sans végétation, nouvel
avatar du cheval ailé se coiffant d’une crinière de plumes. Il
porte la bride blanche du cheval soumis à la main de l’homme,
incarnation de l’instinct et du désir domestiqués. Par ses
plumes, il s’assimile aux messagers du ciel. Deux oiseaux, dont
les couleurs s’harmonisent aux plumes du cheval, volent
au-dessus de lui. Un âne blanc le précède en marchant. L’âne
se rapporte au mental borné et têtu, aux conceptions rigides,
qu’il faut dominer pour faire surgir le renouveau. Sa blancheur
témoigne de sa pureté : en Chine, il était la monture des
Immortels.

Ce tableau de la Dame de la terre clôt le polyptyque. Le regard
de la déesse, tourné vers la gauche, nous invite à retourner au
point de départ du sens de lecture pour l’approfondissement
d’un parcours cyclique.

Annie Girard
poïéticienne.
Novembre 1999